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« Compte tenu de la société du spectacle dans laquelle nous vivons, la photographie, dont le détail s’offre par définition comme lisible, est le langage qui détient le plus grand pouvoir. Le plus apte à attirer, manipuler, capturer le regard du spectateur. Nos yeux sont rompus à le syntaxe photo-réaliste. (...) C’est là que se situe une bonne part de mon travail. Déstructurer les formes et les figures jusqu’à ce qu’elles deviennent «autre». Et faire déraper le regard sur ce qu’il a cru être lisible de par sa précision si concrète.»
Extrait de l’entretien réalisé par J.E. Sennewald pour Roven, revue critique sur le dessin contemporain.

 

Je développe des processus de travail qui voient se déstructurer les langages graphiques, notamment celui de la photographie, dans le but de créer des images glissantes, à la fois concrètes et indéterminées, intègres et innommables, orphelines, mais dotées d’une vie et d’une logique propre. 

Cette logique interne du travail que je recherche nécessite que les intentions, et jusqu'à la conscience de l’artiste, se diluent dans un objet, une image, qui prend alors son indépendance. C’est pourquoi la pratique se développe «en dialogue» avec des images préparées, pour empêcher d’être livré à ma volonté trop libre.

Après avoir travaillé sur les langages graphiques de la bande dessinée franco-belge (série des Disques) sous l’influence des oeuvres d’Oyvind Falström, je me suis penché sur la photographie. Plus précisément: sur le photo-réalisme, pour la raison qu’il est aujourd’hui le langage pictural détenant le plus grand des pouvoirs de manipulation et de soumission par la fascination. La photographie est désormais un langage universel. Elle confine à la signifiance absolue tant sa dimension mécanique donne l'illusion de la vérité. Et aujourd’hui tout un chacun sait «lire» une photographie, sans plus même s'en apercevoir. C’est sur ces aptitudes supposées du spectateur que se développe mon travail.

Je travaille à partir de photos trouvées dont je m’emploie à déconstruire, à performer la structure figurative. La travailler jusqu’à ce qu’elle devienne autre. Les spécificités du medium constituent une large palette d'outils: définition, piqué de l'image et détails des textures, flou photographique, profondeur de champ, etc... Tout comme les spécificités plastiques d’une photo des années 30, d’une publicité photoshopée contemporaine, ou d'une photo numérique compressée à l'excès pour le web, sert de base au développement formel du dessin. 
Il s’agit d’amener la lisibilité à un point de tension, proche de la rupture, et faire entrer l’image en conflit avec le spectateur. La déstructuration, la saturation, l’image au sein de l’image, la dilution des frontières qui séparent les objets des espaces qui les contiennent, sont parmi les moyens de nourrir ce conflit, jusqu’à poser le spectateur face à un dilemme: abandonner face à ce qui échappe, ou nommer ce qu’il voit de sa propre autorité. Ce en quoi il devient l’auteur de son regard. Ce regard rompu à la syntaxe photographique par les productions de la société du spectacle.
L’image n’est plus à comprendre, ni même à ressentir, elle est toute à créer. Il est vain de chercher un «sujet» dans le contenu direct des dessins. Au contraire, c’est tenter de faire se confronter le spectateur à un travail de sape. Et donc de mettre en valeur sa qualité réelle: celle de s’approprier une image devenue hermétique. Celle de l’ouvrir, d’y créer ce qu’elle n’est que potentiellement, et s’il dépasse la frustration face à l’image qui ne s’offre pas dans la communication.

 

Tudi Deligne

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